Strength Immensely Hallucinated
Émile Verhaeren
Les Villages illusoires
The blacksmith
He counted the immeasurable pain:
Dummies advice given to the miserable;
The blind self, leading others;
The language of hardened bile false apostles;
Justice barricaded by texts;
The terror planting his horn at the front of each idea;
The giant arm ardor, also servile,
In the health field or fever cities;
The village, cut off by the huge, dark shadow
Which falls scythe threatening the old bell tower;
The poor people, against whom the poor stubble
To bend their knees before the alms;
The green poison the pure fountain
Diamond, where drinks human consciousness
And then, in spite of oaths and promises,
To those that are feared or that we oppress,
The recommencement always the same distress.
He predicted that this huge rage,
These millions of despair with only one love
Item can ensure that one day,
For another equity, time will begin again
Neither the golden lever that moves things
Do not turn them into clear metamorphoses.
That the clamor and gestures are silent,
Around crazy flags flapping theses;
And we fight less and listen more.
The crowd and the fury that always exceeds
With the strength immensely hallucinated
That darts off the giant forehead destinies –
Will arise, with its merciless arms
The new world of insatiable utopia
The minutes will fly shadow and blood
And the order will hatch sweet, generous and powerful,
Since it will be one day, the pure essence of life.
Love, whose power still is unknown,
Confess perhaps, then, what was God.
Excerpt taken from full poem
Le Forgeron
Sur la route, près des labours,
Le forgeron énorme et gourd,
Depuis les temps déjà si vieux, que fument
Les émeutes du fer et des aciers sur son enclume,
Martèle, étrangement, près des flammes intenses,
À grands coups pleins, les pâles lames
Immenses de la patience.
Tous ceux du bourg qui habitent son coin,
Avec la haine en leurs deux poings,
Muette,
Savent pourquoi le forgeron
À son labeur de tâcheron,
Sans que jamais
Ses dents mâchent des cris mauvais,
S’entête.
Mais ceux d’ailleurs dont les paroles vaines
Sont des abois, devant les buissons creux,
Au fond des plaines ;
Les agités et les fiévreux
Fixent, avec pitié ou méfiance,
Ses lents yeux doux remplis du seul silence.
Le forgeron travaille et peine,
Au long des jours et des semaines.
Dans son brasier, il a jeté
Les cris d’opiniâtreté,
La rage sourde et séculaire ;
Dans son brasier d’or exalté,
Maître de soi, il a jeté
Révoltes, deuils, violences, colères,
Pour leur donner la trempe et la clarté
Du fer et de l’éclair.
Son front
Exempt de crainte et pur d’affronts,
Sur des flammes se penche, et tout à coup rayonne.
Devant ses yeux, le feu brûle en couronne.
Ses mains grandes, obstinément,
Manient, ainsi que de futurs tourments,
Les marteaux clairs, libres et transformants
Et ses muscles s’élargissent, pour la conquête
Dont le rêve dort en sa tête.
Il a compté les maux immesurables :
Les conseils nuls donnés aux misérables ;
Les aveugles du soi, qui conduisent les autres ;
La langue en fiel durci des faux apôtres ;
La justice par des textes barricadée ;
L’effroi plantant sa corne, au front de chaque idée ;
Les bras géants d’ardeur, également serviles,
Dans la santé des champs ou la fièvre des villes ;
Le village, coupé par l’ombre immense et noire
Qui tombe en faulx du vieux clocher comminatoire ;
Les pauvres gens, sur qui pèsent les pauvres chaumes,
Jusqu’à ployer leurs deux genoux, devant l’aumône ;
La misère dont plus aucun remords ne bouge,
Serrant entre ses mains l’arme qui sera rouge ;
Le droit de vivre et de grandir, suivant sa force,
Serré, dans les treillis noueux des lois retorses :
La lumière de joie et de tendresse mâle,
Éteinte, entre les doigts pincés de la morale ;
L’empoisonnement vert de la pure fontaine
De diamant, où boit la conscience humaine
Et puis, malgré tant de serments et de promesses,
À ceux que l’on redoute ou bien que l’on oppresse,
Le recommencement toujours de la même détresse.
Le forgeron sachant combien
On épilogue, autour des pactes,
Depuis longtemps, ne dit plus rien :
L’accord étant fatal au jour des actes ;
Il est l’incassable entêté
Qui vainc ou qu’on assomme ;
Qui n’a jamais lâché sa fierté d’homme
D’entre ses dents de volonté ;
Qui veut tout ce qu’il veut si fortement,
Que son vouloir broierait du diamant
Et s’en irait, au fond des nuits profondes,
Ployer les lois qui font rouler les mondes.
Autour de lui, quand il écoute
Tomber les pleurs, goutte après goutte,
De tant de cœurs, moins que le sien
Tranquilles et stoïciens,
Il se prédit que cette rage immense,
Ces millions de désespoirs n’ayant qu’un seul amour
Ne peuvent point faire en sorte, qu’un jour,
Pour une autre équité, les temps ne recommencent
Ni que le levier d’or qui fait mouvoir les choses
Ne les tourne, vers les claires métamorphoses.
Seule, parmi les nuits qui s’enténèbreront
L’heure est à prendre, ou ces instants naîtront.
Pour l’entendre sonner là-bas,
Haletante, comme des pas,
Que les clameurs et les gestes se taisent,
Autour des drapeaux fous claquant au vent des thèses ;
Et qu’on dispute moins, et qu’on écoute mieux.
L’instant sera saisi par les silencieux,
Sans qu’un prodige en croix flamboie aux cieux
Ni qu’un homme divin accapare l’espace.
La foule et sa fureur qui toujours la dépasse
— Étant la force immensément hallucinée
Que darde au loin le front géant des destinées —
Fera surgir, avec ses bras impitoyables,
L’univers neuf de l’utopie insatiable,
Les minutes s’envoleront d’ombre et de sang
Et l’ordre éclora doux, généreux et puissant,
Puisqu’il sera, un jour, la pure essence de la vie.
Le forgeron dont l’espoir ne dévie
Vers les doutes ni les affres, jamais,
Voit, devant lui, comme s’ils étaient,
Ces temps, où fixement les plus simples éthiques
Diront l’humanité paisible et harmonique :
L’homme ne sera plus, pour l’homme, un loup rôdant
Qui n’affirme son droit, qu’à coups de dents ;
L’amour dont la puissance encore est inconnue,
Dans sa profondeur douce et sa charité nue,
Ira porter la joie égale aux résignés ;
Les sacs ventrus de l’or seront saignés,
Un soir d’ardente et large équité rouge ;
Disparaîtront palais, banques, comptoirs et bouges ;
Tout sera simple et clair, quand l’orgueil sera mort,
Quand l’homme, au lieu de croire à l’égoïste effort,
Qui s’éterniserait, en une âme immortelle,
Dispensera, vers tous, sa vie accidentelle ;
Des paroles, qu’aucun livre ne fait prévoir,
Débrouilleront ce qui paraît complexe et noir ;
Le faible aura sa part dans l’existence entière,
Il aimera son sort — et l’obscure matière
Confessera peut-être, alors, ce qui fut Dieu.
Avec l’éclat de cette lucide croyance
Dont il fixe la flamboyance,
Depuis des ans, devant ses yeux,
Sur la route, près des labours,
Le forgeron énorme et gourd,
Comme s’il travaillait l’acier des âmes,
Martèle, à grands coups pleins, les lames
Immenses de la patience et du silence.
Posted: March 23rd, 2016 under UNDEFEATED.
Tags: Émile Verhaeren, Professor Barnes